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F. Chopin - ebook
F. Chopin - ebook
Klasyka na e-czytnik to kolekcja lektur szkolnych, klasyki literatury polskiej, europejskiej i amerykańskiej w formatach ePub i Mobi. Również miłośnicy filozofii, historii i literatury staropolskiej znajdą w niej wiele ciekawych tytułów.
Seria zawiera utwory najbardziej znanych pisarzy literatury polskiej i światowej, począwszy od Horacego, Balzaca, Dostojewskiego i Kafki, po Kiplinga, Jeffersona czy Prousta. Nie zabraknie w niej też pozycji mniej znanych, pióra pisarzy średniowiecznych oraz twórców z epoki renesansu i baroku.
Kategoria: | Klasyka |
Zabezpieczenie: | brak |
Rozmiar pliku: | 266 KB |
FRAGMENT KSIĄŻKI
F. CHOPIN
PAR
F. Liszt
PARIS
M. ESCUDIER, ÉDITEUR, RUE RICHELIEU, 102.
LEIPZIG, BREITKOFF ET HARTEL, BRUXELES, CHEZ SCHOTT
1852
Quelque regretté qu'il soit, et par tousles artistes et par tous ceux qui l'ont connu, il nous est peut-ętre permis de douter que le moment soit déjà venu, où, apprécié à sa juste valeur, celui dont la perte nous est si particulièrement sensible, occupe le haut rang que lui réserve probablement l'avenir.
S'il a été souvent prouvé que nul ri esl prophète cn son pays, n'estil pas d'expérience aussi que les prophètes, c'est-à-dire les hommes de l'avenir, ceux qui le pressentent et le rapprochent par leurs śuvres, ne sont pas reconnus prophètes par leur temps?…..
Et nous n'oserions affirmer qu'il en pût ętre autre ment. Les jeunes générations d'artistes auront beau protester contre les retardataires, dont la coutume invariable est d'assommer les vivants avec les morts, pour les śuvres musicales comme pour celles d'autres arts, il est quelquefois réservé au temps seul d'en révéler toute la beauté et tout le mérite.
Les formes multiples de Fart n'étant que des incantations diverses, destinées à évoquer les sentiments et les passions, pour les rendre sensibles, tangibles en quelque sorte, et en communiquer les frémissements, le génie se manifeste par l'invention de formes nouvelles adaptées parfois à des sentiments quin'ont 'point encore surgi dans le cercle enchanté. Peut-on espérer que dans ces arts où la sensation est liée à l'émotion sans l'intermédiaire de la pensée et de la réflexion, la seule introduction de formes et de modes inusités ne soit déjà un obstacle a la compréhension immédiate d'une śuvre?… La surprise et męme la fatigue, occasionnées par l'élran-geté des impressions inconnues qu'elle réveille, ne la font-elles pas paraître au grand nombre comme écrite dans une langue qu'on ignore, et qui, par cela meme, semble d'abord barbare?… La seule peined'y habituer l'oreille suffît pour en rebuter beaucoup, qui refusent opiniâtrement de l'étudier avec suite. Ce sont en premier lieu les organisations les plus vives et les plus jeunes, qui, le moins enchaînées par cet attrait de l'habitude, respectable meme en ceux chez qui il est invincible, se prennent de curiosité, puis de passion pour l'idiome nouveau; c'est parelles qu'il pénètre et gagne les régions récalcitrantes du public, et que celuici finit par en saisir le sens, la portée, la construction, et par rendre justice aux qualités ou aux richesses qu'il peut renfermer. Pour ces raisons, les musiciens quine s'astreignent pas aux routines conventionnelles ont besoin glus que d'autres artistes de l'aide du temps. Ils ne peuvent môme espérer que la mort apporte à leurs travaux cette plus-value instantanée qu'elle donne à ceux des peintres, et aucun d'eux ne pourrait renouveler au profit deses manuscrits le subterfuge d'un des grands maîtres flamands, qui voulut de son vivant exploiter sa gloire future, en chargeant sa femme de répandre le bruit de son décès, pour faire renchérir les toiles dont il avait eu soin de garnir son atelier.
Quelle que soit donc la popularité d'une partie des productions de celui que les souffrances avaient brisé longtemps avant sa fin, ii est néanmoins à présumer que la postérité aura pour ses ouvrages une estime moins frivole et moins légère que celle qui leur est encore accordée. Ceux qui, dans la suite, s'occuperont de l'histoire de la musique feront sa part, et elle sera grande, lx celui qui y marqua par ua si rare génie mélodique, par de si heureux et de si remarquables agrandissements du (issu harmonique, que ses conquętes seront avec raison préférées à mainte śuvre de surface plus étendue, jouée et rejouée par un grand nombre d'instruments, chantée et rechantée par la foule des prime donne.
En se renfermant dans le cadre exclusif du piano, Chopin, a notre sens, a fait preuve d'une des qualités les j)lus essentielles à un écrivain: la juste appréciation de ia formo dans laquelle il lui est donné d'exceller; el néanmoins ce fait, dont nous lui faisons un sérieux mérite, nuisit A l'importance de sa renommée. Difficilement peut-ętre un autre en possession dc si hautes facultés mélodiques et harmoniques eùt-il résisté aux tentations que présentent les chants de l'archet, les allanguissements de la flûte, les assourdissements de la trompette que nous nous obslinons encore à croire la seule messagère de la vieille déesse, dont nous briguons les subites faveurs. Quelle conviction réfléchie ne lui at-il pas fallu pour se borner à un cercle plus aride en apparence, et y 'faire odore par son génie ce qui semblait ne pouvoir fleurir sur ce terrain? Quelle pénétration intuitive ne révèle pas ce choix exclusif qui, arrachant les divers effets des instruments à leur domaine habituel, ou toute l'écume du bruit fut venue se briser à leurs pieds, les transportait dans uifte sphère plus restreinte, mais plus idéalisée? Quelle confiante aperception des puissances futures de son instrument a dû présider à cette renonciation volontaire d'un empirisme si répandu, qu un autre eût probablement considéré comme un contre-sens d'enlever d'aussi grandes pensées à leurs interprètes ordinaires! Que nous devons sincèrement admirer celte unique préoccupation du beau pour lui-męme, qui a soustrait son talent à la propension commune de répartir entre une centaine de pupitres chaque brin de mélodie, et lui fit augmenter les ressources de l'art, en enseignant à les concentrer dans un moindre espace!
Loin d'ambitionner les fracas de l'orchestre, Chopin se contenta devoir sa pensée intégralement reproduite sur l'ivoire du clavier, réussissant dans son but de ne lui rien faire perdre en énergie, sans prétendre aux effets d'ensemble et à la brosse du décorateur. On n'a point assez sérieusement et assez attentivement réfléchi sur la valeur des dessins de ce pinceau délicat, habitué qu'on est de nos jours à ne considérer comme compositeurs dignes d'un grand nom, que ceux qui ont laissé pour le moins une demi-douzaine d'opéras, autant d'oratorios et quelques symphonies, demandant ainsi à chaque musicien de faire tout, et un peu plus que tout. Cette notion, si généralement répandue qu'elle soit, n'en est pas moins d'une justesse (rès-problématique. Nous sommes loin de contester la gloire plus difficile à obtenir, et la supériorité réelle des chantres épiques qui déploient sur un large plan leurs śp len-dides créations; niais nous désirerions qu'on appliquât a la musique le prix qu'on met aux proportions matérielles dans les autres branches des beaux-arts, et qui, en peinture par exemple, place une toile de vingt pouces carros, comme la Vision d'Ezechiel, ou le Cimetière de Ruys-Daél, parmi les chefs-d'śuvre évalués plus haut que tel tableau de plus vaste dimension, fut-il d'un Rubens ou d'un Tinforef. En littérature, Béranger estil moins un grand poète pour avoir resserré sa pensée dans les étroites limites de la chanson? Pétrarque ne doit-il pas son Triomphe à ses Sonnets, et de ceux qui ont le plus répété leurs suaves rimes, en estil beaucoup qui connaissent l'existence de son poème sur l'Afrique? Nous ne saurions douter que les préjugés qui disputeraient encore à l'artiste n'ayant produit que des sonates pareilles à celles de Franz Schubert, sa supériorité d'écrivain sur tel autre qui aura partitionné les plates mélodies de bien des opéras que nous ne citerons pas, ne disparaissent graduellement, et qu'en musique aussi, on ne finisse par tenir compte surtout, dans les compositions diverses, de l'éloquence et du talent avec lesquels seront ex primés les pensées et les sentiments, quels que soient du reste l'espace et les moyens employés pour les interpréter.
Or, on ne saurait s'appliquer à faire une analyse intelligente des travaux de Chopin sans y trouver des beautés d'un ordre très élevé, d'une expression parfaitement neuve, et dune conlexture harmonique aussi originale que savante. Chez lui la hardiesse se justifie toujours; la richesse, l'exubérance męme, n'excluent pas la clarté; la singularité ne dégénère pas en bizarrerie baroque; les ciselures ne sont pas désordonnées, et le luxe de l'ornementation ne surcharge pas l'élégance des lignes principales. Ses meilleurs ouvrages abondent en combinaisons qui, on peut le dire, forment époque dans le maniement du style musical. Osées, brillantes, séduisantes, elles déguisent leur profondeur sous tant de grâce, et leur habileté sous tant de charme, que ce n'est qu'avec peine qu'on parvient à se soustraire assez à leur entraînant attrait pour les juger à froid sous le point de vue de leur valeur théorique; celle-ci a déjà été sentie, mais elle se fera de plus en plus reconnaître, lorsque sera venule temps d'un examen attentif des services rendus à l'art, durant la période que Chopin a traversée.
C'est à lui que nous devons celte extension des accords, soit plaqués, soit en arpèges, soit en balte ries; ces sinuosités chromatiques et enharmoniques, dont ses pages offrent de si frappants exemples; ces petits groupes de notes surajoutées, tombant comme les gouttelettes d'une rosée diaprée, par-dessus la figure mélodique. Il donna à ce genre de parure dont on n'avait encore pris le modèle que dans les fioritures de l'ancienne grande école de chant italien, l'imprévu et la variété, que ne comportait pas la voix humaine, servilement copiée parle piano dans des embellissements devenus stéréotypes et monotones. Il inventa ces admirables progressions harmoniques, qui ont doté d'un caractère sérieux, męme les pages qu ipar la légèreté de leur sujet ne paraissaient pas devoir prétendre à cette importance. Mais, qu'importe le sujet? N'est-ce pas l'idée qu'on en fait jaillir, l'émotion qu'on y fait vibrer, qui l'élève, l'ennoblit et le grandit? Que de mélancolie, que de finesse, que de sagacité, que à'art surtout dans ces chefs-d'śuvre de laFontaine, dont les sujets sont si familiers et les titres si modestes! Ceux d'Etudes et de Préludes le sont aussi; pourtant les morceaux de Chopin qui les portent, n'en resteront pas moins des types de perfection, dans un genre qu'il a créé, et qui relève, ainsi que toutes ses śuvres, du caractère de son génie poétique. Écrits presque en premier lieu, ils sont empreints d'une verve juvénile qui s'efface dans quelques-uns deses ouvrages subséquents, plus élaborés, plus achevés, plus combinés, pour se perdre tout à fait dans ses dernières productions d'une sensibilité surexcitée, qu'on dirait ętre la recherche de Vépuisement.
Si nous avions à parler ici en termes d'école du développement de la musique de piano, nous disséquerions ces magnifiques pages, qui offrent une si riche glane d'observations. Nous explorerions en première ligne ces Nocturnes, Ballades, Impromptus, Scherzos, qui tous sont pleins de raffinements harmoniques aussi inattendus qu'inenlcndus. Nous les rechercherions également dans ses Polonaises, Ma-zoures, Valses, Boléros. Mais ce n'est ni l'instant, nile lieu d'un travail pareil, quin'offrirait d'intéręt qu'aux adeptes du contre-point et de la basse chiffrée.
C'est parle sentiment qui déborde dc toutes ces śuvres, qu'elles se sont répandues et popularisées; sentiment éminemment romantique, individuel, propre à leur auteur, et néanmoins sympathique, non-seulement à ce pays qui lui doit une illustration de plus, mais à tous ceux que purent jamais touchér les infortunes de l'exil el les attendrissements de l'amour.
Ne se contentant pas toujours de cadres dont il était libre de dessiner les contours si heureusement choisis par lui, Chopin voulut aussi enclaver sa pensée dans les classiques barrières. II a écrit de beaux Concertos et de belles Sonates; toutefois il n'est pas difficile de distinguer dans ces productions plus de volonté que d'inspiration. La sienne était impérieuse, fantasque, irréfléchie. Ses allures ne pouvaient ętre que libres, et nous croyons qu'il a violenté son génie, chaque fois qu'il a cherché à l'astreindre aux règles, aux classifications, à une ordonnance quin'étaient pas les siennes, et ne pouvaient concorder avec les exigences de son esprit, un de ceux dont la grâce se déploie surtout lorsqu'ils semblent aller à la dérive.
Il a pu ętre entraîné à désirer ce double succès, par l'exemple de son ami Mickiewicz, qui après avoir été le premier à doter sa langue d'une poésie fantastique, faisant école dès 1818 dans la littérature slave parses Dziady et ses ballades romantiques, prouva ensuite, en écrivant Grażyna et Wallenrod, qu'il savait aussi triompher des difficultés qu opposent à l'inspiration, les entraves de la forme classique, et qu'il était également maître lorsqu'il saisissait la lyre des anciens poetes. Chopin, en faisant des tentatives analogues, n'a pas aussi complètement réussi à notre avis. Il n'a pu maintenir dans le carré d'une coupe anguleuse et roide ce contour flottant et indéterminé qui fait le charme de sa pensée. Il n'a pu y enserrer cette indécision nuageuse et estompée, qui en détruisant toutes les arętes de la forme, la drape de longs piis comme de flocons brumeux, tels que ceux dont étaient entourées les beautés ossianiques, lorsqu'elles faisaient apparaître aux mortels quelque suave profil du milieu des changeantes nuées.
Ces essais brillent pourtant par une rare distinction de style, et renferment des passages d'un haut intéręt, des fragments dune surprenante grandeur. Nous citerons Y Adagio du second Concerto, pour lequel il avait une prédilection marquée, et qu'il se plaisait à redire fréquemment. Les dessins accessoires appartiennent à la plus belle manière de Y auteur, et la phrase principale en est d'une largeur admirable. Elle alterne avec un récitatif qui pose le ton mineur et qui en est comme l'antistrophe. Tout ce morceau est d'une idéale perfection; son sentiment, tour à tour radieux et plein d'apitoiement. 11 fait songer à un magnifique paysage inondé de lumière, lx quelque fortunée vallée de Tempe qu'on aurait fixée pour ętre le lieu d'un récit lamentable, d'une scène attristante. On dirait un irréparable regret, accueillant le cśur humain en face d'une incomparable splendeur de Ia nature; contraste soutenu par une fusion de tons, une dégradation de teintes atténérie qui empęche que rien de heurté
ou de brusque ne vienne faire dissonance à l'impression émouvante qu'il produit, et qui en meme temps mélancolise Ia joie et rassérène la douleur.
Pourrions-nous ne pas parler de la Marche funèbre intercalée dans sa première sonate, qui a été orchestrée et exécutée pour la première fois à la cérémonie deses obsèques? Aurait-on pu trouver d'autres accents pour exprimer avec le męme navrement quels sentiments et quelles larmes devaient accompagner à son dernier repos celui qui avait compris d'une manière si sublime comment on pleurait les grandes pertes! – Nous entendions dire un jour à un jeune homme de son pays; Ces pages n'auraient pu ętre écrites que par un Polonais! En effet, tout ce que le cortège d'une nation entière, pleurant sa propre mort, aurait de solennel et de déchirant, se retrouve dans le glas funéraire qui semble ici l'escorter. Tout le sentiment de mystique espérance, dc religieux appel à une miséricorde surhumaine, à une clémence infinie et à une justice qui tient compte de chaque tombe et de chaque berceau, toute la résignation exaltée qui a éclaire de la lumière des auréoles tant de douleurs et de désastres supportés avec l'héroïsme inspiré des martyrs chrétiens, résonne dans lo chant dont la supplication esl si désolée. Ce qu'il y a de plus pur, de plus saint, de plus résigné, de plus croyant el de plus espérant dans le cśur des femmes, des enfants et des prętres y retentit, y frémit, y tressaille avec d'indicibles vibrations. On sent que ce n'est pas la mort d'un héros qu'on pleure, alors que d'autres héros restent pour le venger, mais bien celle d'une génération entière qui a succombé, ne laissant après elle que les femmes, les enfants et les prętres. Cette mélopée si funèbre et si lamentable, est néanmoins d'une si pénétrante douceur, qu'elle semble ne plus venir dc cette terre. Ces sons qu'on dirait attiédis par la distance imposent un supręme recueillement, comme s'ils étaient chantés par les anges eux-męmes et flottaient déjà dans le ciel, aux alentours du trône divin. Ni eris, ni rauques gémissements, ni blasphèmes impies, ni furieuses imprécations ne troublent un instant la plainte, qu'on prendrait ainsi pour de séraphiques soupirs. Le côté an(ique de la douleur en est totalement exclu. Rien n'y rappelle les fureurs de Cassandre, les abaissements de Priam, les frénésies d'Hécube, les désespérances des captives troyennes. Une foi superbe anéantissant, dans les survivants dc celte Llion chrétienne, l'amertume de la souffrance en męme temps que la lâcheté de l'abaltement, leur douleur ne conserve dus aucune deses terrestres faiblesses, elle s'arrache de ce sol moile de sang et de larmes; s'élance vers Dieu, el nc saurait plus s'adresser qu'au Juge supręme, trouvant pour l'implorer de si poignanles prières, quen les écoutant notre cśur se brise en nous-męmes, sous une auguste compassion.
On aurait pourlant tort de croire que toutes les compositions de Chopin sont dépourvues des sentiments dont il a dépouillé ce sublime élan, et dont l'homme n'est peut-ętre pas à męme de ressentir constamment l'énergique abnégation, la courageuse douceur. De sourdes colères, des rages étouffées, se rencontrent dans maints passages deses śuvres, et plusieurs deses Etudes, aussi bien que ses Scherzos, dépeignent une exaspération concentrée, et dominée par un désespoir, tantôt ironique, tantôt hautain. Ces sombres apostrophes de sa muse ont passé plus inaperçues et moins comprises que ses poèmes d'un plus tendre coloris. Le caractère personnel de Chopin a pu y contribuer. Bienveillant, affable, facile dans ses rapports, dune humeur égale et enjouée, il laissait peu soupçonner les secrètes convulsions qui l'agitaient.
Ce caractère n'était pas facile à saisir. Il se composait de mille nuances, qui se croisaient et se déguisaient les unes les autres, d'une manière indéchiffrable a prima vista. Il était aisé de se méprendre sur le fond de sa pensée, comme avec les Slaves en général, chez qui la loyauté et la franchise, la familiarité et la captante desinvollura des manières, n'impliquent nullement la confiance et l'épanchement. Leurs sentiments se révèlent et se cachent, comme les replis retors d'un serpent enroulé sur lui-môme. Il faut attentivement les examiner, pour trouver l'enchaînement de leurs anneaux. Il y aurait de la naïveté à prendre au mot leur complimenteuse politesse, leur modestie prétendue. Les formules de cette politesse et de cette modestie tiennent à leurs mśurs qui se ressentent singulièrement de leurs anciens rapports avec l'Orient. Sans se con-tagier le moins du monde de la taciturnité musulmane, ils ont appris d'elle une réserve défiante sur tousles sujets qui tiennent aux cordes délicates et intimes; si bien, qu'on peut à peu près ętre toujours certain, lorsqu'ils parlent d'eux-męmes, qu'ils gardent vis-à-vis de leur interlocuteur des réticences qui leur assurent sur lui un avantage d'intelligence ou de sentiment, en lui laissant ignorer telle circonstance ou tel mobile secret par lesquels ils seraient le plus admirés ou le moins estimés, et qu'ils dérobent sous un sourire lin, interrogateur, et d'une imperceptible raillerie. Se complaisant en toute occurrence dans le plaisir delà mystification, depuis les plus spirituelles et les plus bouffonnes, jusqu'aux plus amères et aux plus lugubres, on dirait qu'ils voient dans cette moqueuse supercherie, une formule de dédain à la supériorité qu'ils s'adjugent intérieurement, mais qu'ils voilent avec le soin et la ruse des opprimés.
L'organisation chétive et debile de Chopin ne lui permettant pas l'expression énergique deses passions, il ne livrait h ses amis que ce qu'elles avaient de doux et d'affectueux. Dans le monde pressé et préoccupé des grandes villes, où nul n'ale loisir de deviner l'énigme des destinées d'autrui, où chacun n'est jugé que sur son activité extérieure, bien peu sans doute songent a prendre la peine de jeter un coup d'śil qui dépasse la superficie des caractères. Mais ceux que des rapports intimes et fréquents rapprochaient de Chopin, avaient occasion d'apercevoir à certains moments, l'impatience et l'ennui qu'il ressentait d'ętre si promptement cru sur parole. Et l'artiste ne pouvait venger l'homme!… D'une santé trop faible pour trahir celle impatience par la véhémence de son jeu, il cherchait à se dédommager en écrivant ces pages, qu'il aimait à entendre exécuter avec la vigueur qui lui faisait défaut, et dans lesquelles surnagent les rancunes passionnées de l'homme plus profondément atteint par certaines blessures qu'il ne lui plaît de l'avouer, comme surnageraient autour d'une frégate pavoisée quoique près de sombrer, les lambeaux deses flancs arrachés par les flots.
Ces impressions ont eu d'autant plus d'importance dans la vie de Chopin, qu'elles se sont manifestées sensiblement dans ses ouvrages. Elles ont peu h peu atteint une sorted'irascibilité maladive qui, arrivée au point d'un tremblement fébrile, a produit ce contournement, cette torsion de sa pensée, qu'on observe dans ses derniers écrits. – Suffoquant presque, sous l'oppression deses violences réprimées, ne se servant plus de l'art que pour se donner à lui-męme sa propre tragédie, après avoir fatigué son sentiment, il se prit à le subtiliser. On retrouve dans les feuilles qu'il a publiées sous ces influences, quelquechose des émotions alambiquées de Jean Paul, auquel il fallait les surprises causées par les phénomènes de la nature et de la physique, les sensations d'effrois voluptueux dues à des accidents imprévoyables dans Tordre naturel des choses, les morbides surexcitations d'un cerveau halluciné, pour remuer un cśur macéré de passions et blasé sur la souffrance. La mélodie devient tourmentée, une sensibilité nerveuse et inquiète amène un remaniement de motifs d'une persistance acharnée, pénible comme le spectacle des tortures que causent ces maladies de l'âme ou du corps, quin'ont que la mort pour remède. Chopin élait en proie à une de ces maladies qui, empirant d'année en année, l'a enlevé jeune encore; et dans les productions dont nous parlons, on retrouve les traces des souffrances aiguës qui le dévoraient, comme on trouverait dans un beau corps celles des griffes d'un oiseau de proie.
2
Ces aberrations de sentiment, quine parviennent pourtant jamais h diminuer la rare qualité de l'étoffe harmonique, qu'elles rendent au contraire plus curieuse à étudier, ne se rencontrent que peu dans les pièces de Chopin les plus connues et les plus habituellement goûtées. Ses Polonaises, qui sont moins recherchées qu'elles nele méritent, h cause des difficultés que présente leur parfaite exécution, appartiennent à ses plus belles inspirations; elles ne rappellent nullement les Polonaises mignardes et fardées à la Pompadour, telles que les ont propagées les orchestres dans les bais, les virtuoses dans les con certs, et le répertoire rebattu de Ia musique maniérée et affadie des salons. D'un rhythme énergique, elles font tressaillir et galvanisent toutes les torpeurs de nos indifférences. Les plus nobles sentiments traditionnels de l'ancienne Pologne y sont recueillis. Un sentiment de ferme détermination joint à la gravité, – ce qui, dit-on, était l'apanage deses grands hommes d'autrefois, –y frappe tout d'abord. Martiales pour la plupart, la bravoure et la valeur y sont rendues avec Ia simplicité d'accent qui faisait, chez celle nation guerrière, le trait distinctif de ces qualités. Elles respirent une force calme et réfléchie, et l'on croit y revoir ces antiques Polonais tels que nous les dépeignent leurs chroniques: d'une organisation massive, d'une intelligence déliée, d'une piété sérieuse, d'un courage indomptable, męlé à une courtoisie et à une galanterie, quin'abandonnent les enfants de la Pologne ni sur le champ de bataille, ni la veille, nile lendemain du combat. Cette courtoisie élait tellement inhérente à leur nature que malgré la compression que des habitudes rapprochées de celles de leurs voisins et ennemis, les infidèles de Stamboul, leur faisaient exercer jadis sur les femmes, enlesrefou-lant dans la vie domestique et en les tenant toujours à Vombre d'une tutelle légale, elle a néanmoins glorifié ou imniovlalisé dans leurs annales, des reines qui furent des saintes, des vassales qui devinrent des reines, de belles sujettes, pour lesquelles les uns risquèrent, les autres perdirent des trônes, aussi bien qu'une terrible Sforza, une intrigante d'Àrquien, une Gonzague coquette.
Chez les Polonais des temps passés, une male résolution s'unissant à cette ardente dévotion pour les objets de leur amour, qui dictait tousles matins à Sobieski, en face des étendards du Croissant, aussi nombreux que les épis d'un champ, de si tendres billets doux à sa femme, prenait une teinte singulière et imposante, dans l'habitude de leur maintien, noble jusqu'à une légère emphase. Us ne pouvaient manquer d'en contracter le goût, en contemplant les plus beaux types de manières solennelles dans les sectaleurs de l'islamisme, dont ils appréciaient et gagnaient les qualités, tout en combattant leurs envahissements. Ils savaient comme eux faire précéder leurs actes d'une intelligente délibération, qui semblait rendre présente à chacun la devise du prince Boleslas de Pomeranie: Ent ivieg's, dann wag's, Pèse d'abord, et puis ose! et qui rehaussait leurs mouvements dune certaine fierté pompeuse, en leur laissant une aisance et une liberté d'esprit accessibles aux plus légers soucis de leurs tendresses, aux plus éphémères craintes de leur cśur, aux plus futiles intéręts de leur vie. Comme ils mettaient leur honneur à la faire payer cher, ils aimaient à l'embellir, et, mieux que cela, ils savaient aussi aimer ce qui l'embellissait, et révérer ce qui la leur rendait précieuse.
Leurs chevaleresques héroïsmes étaient sanctionnés par leur altière dignité, et une préméditation convaincue ajoutant les ressorts de la raison aux énergies de la vertu, ils réussissaient à se foire admirer de tousles ages, de tousles esprits, et de leurs adversaires męmes. C'était une sorte de sagesse téméraire, de prudence hasardeuse, de fanatisme fataliste, dont la manifestation historique la plus célébrée et la plus marquante fut l'expédition de Sobieski, alors qu'il sauva Vienne et frappa d'un coup mortel l'empire Ottoman, vaincu enfin dans cette longue lutte soutenue de part et d'autre avec tant de prouesse, d'éclat et de mutuelles déférences, entre deux ennemis aussi irréconciliables dans leurs combats, que magnanimes dans leurs tręves.
En écoutant quelques-unes des Polonaises de Chopin, on croit entendre la démarche plus que ferme, pesante, d'hommes affrontant avec l'orgueil de la vaillance, tout ce que le sort pouvait avoir d'injuste. Par intervalle, l'on croit voir passer des groupes magnifiques, tels que les dessinait Paul Véronèse; l'imagination les revęt du riche costume des vieux siècles: brocarts d'or, velours, satins ramages, zibelines serpentantes et moelleuses, manches accor tement rejelées sur l'épaule, sabres damasquinés, riches joyaux, chaussures rouges du sang foulé ou jaunes comme Tór, ceintures h franges onduleuses; – guimpes sévères, corsages en carapaces de perles, traînes bruissantes, coiffures élincelantes de rubis ou verdoyantes d'émeraudes, souliers mignons brodés d'ambre, gants parfumés des sachets d'un harem. Ces groupes se détachent sur le fond incolore du temps disparu, entourés des somptueux tapis de la Perse, des meubles filigranes de Constantinople, de toute la fastueuse prodigalité de ces magnats qui puisaient dans des fontaines de Tokay, avec leurs gobelets de vermeil bosselés de médaillons, et ferraient d'argent leurs coursiers arabes, surmontant tous leurs écussons de la meme couronne, que l'électioi pouvait rendre royale, et qui, leur faisant mépriser tout autre titre, était seule portée comme insigne de leur glorieuse égalité.
Le caractère primitif de la danse polonaise est assez difficile à deviner maintenant, tant elle est dégénérée, au dire de ceux qui l'ont vu exécuter au commencement de ce siècle encore. On comprend à quel pointelle doit leur sembler devenue fade, cn songeant que la plupart des danses nationales ne peuvent guère conserver leur originalité primitive, lorsque le costume qui y était approprié n'est plus en usage, et que la Polonaise surtout si absolument dénuée de mouvements rapides, de pas véritables dans le sens chorégraphique du mot, de poses difficiles et uniformes: que la Polonaise, inventée bien plus pour déployer l'ostentation que la séduction, devait bientôt perdre de sa pompeuse importance, desa suffisance orgueilleuse, etse changer en promenade circulaire peu intéressante, dès que les hommes furent privés des accessoires nécessaires pour que leurs gestes vinssent animer par leur jeu et leur pantomime sa formule si simple, rendue aujourd'hui décidément monotone. On n'imaginerait pas les nombreux incidents et la mimique expressive qu'on y introduisait jadis, sans les récits et les exemples de quelques vieillards qui portent encore l'ancien habillement Polonais. Par une exception assez rare, cette danse était destinée à faire surtout remarquer les hommes, à mettre en évidence et faire admirer leur beauté, leur bel air, leur contenance martiale et courtoise. (Ces deux épitliètcs ne définissent-elles pas le caractère polonais?,..) Lenom męme de la danse est du genre masculin dans l'original, et ce n'est que par un malentendu évident qu'on l'a traduit au féminin.