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Le Comte de Moret - ebook
Le Comte de Moret - ebook
L’époque du gouvernement de Louis XIII et le cardinal Richelieu. Le machiavélique cardinal Richelieu, toujours au centre des intrigues, apprend que le comte de Moret, qui est aussi fils naturel d’Henri IV, a porté des lettres aux deux reines. Bien plus il est tombé amoureux d’Isabelle de Lautrec! Alors, évidemment le cardinal va agir pour amener toute cette eau à son moulin...
Kategoria: | Powieść |
Język: | Inny |
Zabezpieczenie: |
Watermark
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ISBN: | 978-83-8115-991-3 |
Rozmiar pliku: | 2,8 MB |
FRAGMENT KSIĄŻKI
PREMIER VOLUME
CHAPITRE Ier. L'HOTELLERIE DE LA BARBE PEINTE.
CHAPITRE II. CE QUI ADVINT DE LA PROPOSITION FAITE PAR L'INCONNU A MAITRE ÉTIENNE LATIL.
CHAPITRE III. OU LE LECTEUR COMMENCE A S'EXPLIQUER LA HAINE QUE LE GENTILHOMME BOSSU PORTAIT AU COMTE DE MORET, ET CE QU'IL EN ADVINT.
CHAPITRE IV. L'HOTEL DE RAMBOUILLET.
CHAPITRE V. CE QUI SE PASSAIT A L'HOTEL RAMBOUILLET, AU MOMENT OU SOUSCARRIÈRES SE DÉBARRASSAIT DE SON TROISIÈME BOSSU.
CHAPITRE VI. MARINA ET JAQUELINO.
CHAPITRE VII. ESCALIERS ET CORRIDORS.
CHAPITRE VIII. SA MAJESTÉ LE ROI LOUIS XIII.
CHAPITRE IX. CE QUI SE PASSA DANS LA CHAMBRE A COUCHER DE LA REINE ANNE D'AUTRICHE APRÈS QUE LE ROI LOUIS XIII EN FUT SORTI.
CHAPITRE X. LES LETTRES QU'ON LIT DEVANT TÉMOINS ET LES LETTRES QU'ON LIT TOUT SEUL.
CHAPITRE XI. LE SPHINX ROUGE.
CHAPITRE XII. L'ÉMINENCE GRISE.
CHAPITRE XIII. OU Mme CAVOIS DEVIENT L'ASSOCIÉE DE M. MICHEL.
CHAPITRE XIV. OU LE CARDINAL COMMENCE A VOIR CLAIR SUR SON ÉCHIQUIER.
DEUXIÈME VOLUME
CHAPITRE Ier. ÉTAT DE L'EUROPE EN 1628.
CHAPITRE II. MARIE DE GONZAGUE.
CHAPITRE III. LE COMMENCEMENT DE LA COMÉDIE.
CHAPITRE IV. ISABELLE ET MARINA.
CHAPITRE V. OU MONSEIGNEUR GASTON, COMME LE ROI CHARLES IX, JOUE SON PETIT ROLE.
CHAPITRE VI. EVE ET LE SERPENT.
CHAPITRE VII. OU LE CARDINAL UTILISE POUR SON COMPTE LE BREVET QU'IL A DONNÉ A SOUSCARRIÈRES.
CHAPITRE VIII. L'IN PACE.
CHAPITRE IX. LE RÉCIT.
CHAPITRE X. MAXIMILIEN DE BÉTHUNE, DUC DE SULLY BARON DE ROSNY.
CHAPITRE XI. LES DEUX AIGLES.
CHAPITRE XII. LE CARDINAL EN ROBE DE CHAMBRE.
CHAPITRE XIII. LA DEMOISELLE DE GOURNAY.
CHAPITRE XIV. LE RAPPORT DE SOUSCARRIÈRES.
TROISIÈME VOLUME
CHAPITRE Ier. LES LARDOIRES DU ROI LOUIS XIII.
CHAPITRE II. PENDANT QUE LE ROI LARDE.
CHAPITRE III. LE MAGASIN D'ILDEFONSE LOPEZ.
CHAPITRE IV. LES CONSEILS DE L'ANGELY.
CHAPITRE V. LA CONFESSION.
CHAPITRE VI. OU M. LE CARDINAL DE RICHELIEU FAIT UNE COMÉDIE SANS LE SECOURS DE SES COLLABORATEURS.
CHAPITRE VII. LE CONSEIL.
CHAPITRE VIII. LE MOYEN DE VAUTHIER.
CHAPITRE IX. LE FÉTU DE PAILLE INVISIBLE, LE GRAIN DE SABLE INAPERÇU.
CHAPITRE X. LA RÉSOLUTION DE RICHELIEU.
CHAPITRE XI. LES OISEAUX DE PROIE.
CHAPITRE XII. LE ROI RÈGNE.
CHAPITRE XIII. LES AMBASSADEURS.
CHAPITRE XIV. LES ENTR'ACTES DE LA ROYAUTÉ.
CHAPITRE XV. TU QUOQUE, BARADAS!
CHAPITRE XVI. COMMENT, EN FAISANT CHACUN LEUR PREMIÈRE SORTIE, ETIENNE LATIL ET LE MARQUIS DE PISANI EURENT LA CHANCE DE SE RENCONTRER.
CHAPITRE XVII. LE CARDINAL A CHAILLOT.
CHAPITRE XVIII. MIRAME.
CHAPITRE XIX. LES NOUVELLES DE LA COUR.
CHAPITRE XX. POURQUOI LE ROI LOUIS XIII ÉTAIT TOUJOURS VÊTU DE NOIR. OU LE CARDINAL RÈGLE LE COMPTE DU ROI.
QUATRIÈME VOLUME
CHAPITRE Ier. L'AVALANCHE.
CHAPITRE II. GUILLAUME COUTET.
CHAPITRE III. MARIE COUTET.
CHAPITRE IV. POURQUOI LE COMTE DE MORET AVAIT ÉTÉ TRAVAILLER AUX FORTIFICATIONS DU PAS DE SUZE.
CHAPITRE V. UNE HALTE DANS LA MONTAGNE.
CHAPITRE VI. LES AMES ET LES ÉTOILES.
CHAPITRE VII. LE PONT DE GIACON.
CHAPITRE VIII. LE SERMENT.
CHAPITRE IX. LE JOURNAL DE M. DE BASSOMPIERRE.
CHAPITRE X. OU LE LECTEUR RETROUVE UN ANCIEN AMI.
CHAPITRE XI. OU MONSIEUR LE CARDINAL TROUVE LE GUIDE DONT IL AVAIT BESOIN.
CHAPITRE XII. LE PAS DE SUZE.
CHAPITRE XIII. OU IL EST PROUVÉ QU'UN HOMME N'EST JAMAIS SUR D'ÊTRE PENDU, EUT-IL DÉJA LA CORDE AU COU.
CHAPITRE XIV. LA PLUME BLANCHE.
CHAPITRE XV. CE QUE PENSE L'ANGELY DES COMPLIMENTS DU DUC DE SAVOIE.
CHAPITRE XVI. UN CHAPITRE D'HISTOIRE
CHAPITRE XVII. DEUX ANCIENS AMANTS.
CHAPITRE XVIII. LE CARDINAL ENTRE EN CAMPAGNE.
CHAPITRE XIX. BUISSON CREUX.
CHAPITRE XX. OU LE COMTE DE MORET SE CHARGE DE FAIRE ENTRER UN MULET ET UN MILLION DANS LE FORT DE PIGNEROL.
CHAPITRE XXI. LE FRÈRE DE LAIT.
CHAPITRE XXII. L'AIGLE ET LE RENARD.
CHAPITRE XXIII. L'AURORE.
CHAPITRE XXIV. LE BILLET ET LES PINCETTES.PREMIER VOLUME
CHAPITRE Ier
L'HOTELLERIE DE LA BARBE PEINTE.
Le voyageur qui, pour ses affaires ou pour son plaisir, venait, vers la fin de l'an de grâce 1628, passer quelques jours dans la capitale du royaume des Lys, comme on disait poétiquement à cette époque, pouvait avec certitude s'arrêter, recommandé ou non, à l'hôtellerie de la Barbe Peinte, située rue de l'Homme-Armé; il était sûr d'y trouver, chez maître Soleil, bon visage, bonne table et bon gîte.
Il n'y avait point à s'y tromper d'ailleurs; à part un ignoble cabaret qui faisait le coin de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, et qui, remontant au plus obscur moyen-âge, avait, par son enseigne, représentant un homme armé, donné son nom à cette ruelle, qui ne compte encore aujourd'hui que cinq numéros impairs et quatre numéros pairs, l'hôtellerie dans laquelle nous allons introduire nos lecteurs tenait une place trop importante, et attirait les chalands par une trop majestueuse inscription pour qu'un voyageur, quel qu'il fût, eût l'idée d'aller plus loin, une fois qu'il était arrivé en face d'elle.
En effet, outre le carré de fer-blanc, orné de découpures à jour, qui grinçait au moindre vent, au bout d'une tringle terminée par un croissant doré, carré de fer-blanc qui représentait le Grand-Turc, orné d'une barbe du ponceau le plus éclatant, ce qui justifiait ce nom étrange de l'hôtellerie de la Barbe Peinte, on pouvait, sur la façade de la maison et au-dessus de la porte d'entrée, lire le rébus suivant:
Ce qui signifiait, en adjoignant l'enseigne à l'inscription, et en ne faisant qu'un des deux:
A LA BARBE PEINTE
SOLEIL
LOGE A PIED ET A CHEVAL.
L'enseigne de la Barbe Peinte pouvait rivaliser d'ancienneté avec celle de l'Homme-Armé, mais nous devons avouer en notre qualité de romancier, qui nous impose, à l'endroit de la vérité, des devoirs auxquels ne s'astreignent pas toujours les historiens, que l'inscription était toute moderne.
Il y avait deux ans à peine que l'ancien aubergiste, avantageusement connu sous les noms et prénoms de: Claude-Cyprien Mélangeois,—avait, pour la somme de mille pistoles, cédé son établissement à maître Blaise-Guillaume Soleil, son nouveau propriétaire; or, ce nouveau propriétaire, sans respect pour les droits séculaires des hirondelles, qui faisaient leurs nids à l'extérieur, et des araignées qui tissaient leurs toiles à l'intérieur, avait, à peine l'acte de vente passé, appelé les peintres et les tapissiers, fait gratter la façade, fait meubler les chambres de son hôtellerie et fait tracer enfin, aux regards éblouis de ses voisins, qui se demandaient où maître Soleil pouvait prendre tout l'argent qu'il dépensait, le pompeux rébus que nous avons eu l'honneur d'expliquer plus haut à nos lecteurs, non point, Dieu nous en garde, par doute de leur intelligence, mais par le désir, tout égoïste, de ne pas les voir, pour faire une recherche dont nous pouvions leur épargner la peine, s'arrêter inutilement au commencement de notre récit.
Les vieilles femmes de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie et de la rue des Blancs-Manteaux avaient d'abord, en vertu des qualités sibyllines qu'elles devaient à leur âge avancé, prédit, en hochant la tête de droite à gauche, que tous ces embellissements porteraient malheur à la maison, dont l'achalandage tenait justement à son aspect connu depuis des siècles. Mais à leur grand dépit, et au suprême étonnement de ceux qui les prenaient pour oracles, la prédiction funeste ne s'était point réalisée, et tout au contraire l'établissement avait prospéré, grâce à une clientèle aussi nouvelle qu'inconnue, laquelle, sans faire tort à l'ancienne, avait augmenté, et nous dirons même doublé les recettes que l'hôtellerie de la Barbe Peinte faisait, du temps où les hirondelles bâtissaient tranquillement leurs nids aux coins des fenêtres, et où les araignées tissaient non moins tranquillement leur toile aux angles des appartements.
Mais, peu à peu, une certaine lueur s'était faite sur ce grand mystère: le bruit avait circulé que Mme Marthe-Pélagie Soleil, personne fort alerte, fort avenante, encore jeune et encore jolie, vu qu'elle avait trente ans à peine, était la sœur de lait d'une des dames les plus puissantes de la cour, laquelle dame avait, de ses deniers, ou de ceux d'une autre dame, encore plus puissante qu'elle, avancé à maître Soleil l'argent nécessaire à son établissement, et que c'était cette sœur de lait qui recommandait l'hôtellerie de la Barbe Peinte aux nobles étrangers que l'on voyait depuis quelque temps circuler dans les rues, jusque-là assez mal fréquentées, du quartier de la Verrerie et de la rue Sainte-Avoye.
Qu'y avait-il de vrai, qu'y avait-il de faux dans toutes ces rumeurs? C'est ce que la suite de cette histoire nous apprendra.
En tous cas, nous allons voir ce qui se passait dans une salle basse de l'hôtellerie de la Barbe Peinte, le 5 décembre 1628, c'est-à-dire quatre jours après le retour du cardinal de Richelieu de ce fameux siége de La Rochelle, qui nous a fourni un des épisodes de notre roman des Trois Mousquetaires, et cela vers quatre heures de l'après midi, heure à laquelle, vu la hauteur des maisons et le rapprochement des murailles, le crépuscule commençait et doit commencer encore à tomber dans la rue de l'Homme-Armé.
Cette salle basse était occupée momentanément par un seul personnage, mais comme ce personnage était un habitué de la maison, il y faisait à lui seul autant de bruit et y tenait autant de place que quatre buveurs ordinaires.
Il avait déjà vidé un pot de vin, et en était à la moitié du second, se tenant couché sur trois chaises, s'amusant à déchiqueter, avec la molette de ses éperons, la paille d'une quatrième, tandis que de la pointe de sa dague, il dessinait en creux sur la table un jeu de marelle en miniature.
Sa rapière, dont la poignée était à la portée de sa main, s'allongeait de sa hanche sur sa cuisse, et glissait comme une couleuvre entre ses deux jambes croisées l'une sur l'autre.
C'était un homme de 36 à 38 ans, dont on pouvait d'autant mieux voir le visage, au dernier rayon de lumière qui filtrait par les étroits vitraux losangés de plomb, donnant sur la rue, qu'il avait suspendu son feutre à l'espagnolette de la fenêtre. Il avait les cheveux, les sourcils et la moustache noirs, le teint hâlé des hommes du Midi, quelque chose de dur dans le regard et de railleur sur la lèvre, qui, en se retroussant par un mouvement facial, pareil à celui du tigre, laissait voir des dents d'une blancheur éclatante. Son nez droit et son menton en saillie indiquaient la volonté poussée jusqu'à l'entêtement, tandis que la courbe inférieure de sa mâchoire accentuée à la manière de celle des animaux féroces, indiquait ce courage irréfléchi dont il ne faut pas savoir gré à celui qui le possède, puisqu'il n'est point chez lui le résultat du libre arbitre, mais le simple produit d'instincts carnassiers; enfin, tout le visage, assez beau, offrait le caractère d'une franchise brutale, qui pouvait faire craindre, de la part du porteur de cette physionomie, des accès de colère et de violence, mais qui ne laissait pas même soupçonner des actes de duplicité, de ruse ou de trahison.
Quant à son costume, c'était celui des gentilshommes inférieurs de l'époque, moitié civil, moitié militaire, avec le justaucorps de drap ouvert aux manches, la chemise bouffant à la ceinture, les chausses larges et les bottes de buffle abaissées au-dessous du genou. Tout cela propre, mais sans luxe et empruntant une espèce d'élégance, à la désinvolture de celui qui le portait.
Ce fut sans doute pour ne pas éveiller dans son hôte un de ces accès de colère ou de violence auxquels il paraissait se laisser aller avec une trop grande facilité, que maître Soleil entra deux ou trois fois dans la salle basse où il se trouvait, sans se permettre de faire la moindre remontrance sur la double dévastation dans laquelle il paraissait complétement absorbé, se contentant, au contraire, de lui sourire chaque fois aussi agréablement que possible, ce qui était d'ailleurs facile au brave hôtelier, dont le faciès était aussi placide que celui du buveur était mobile et irritable.
Cependant, à sa troisième ou quatrième apparition dans la salle, maître Soleil ne put se retenir d'adresser la parole à son habitué.
—Eh bien, mon gentilhomme, lui dit-il d'un ton de bienveillance marquée, il me semble que depuis quelques jours il y a du chômage dans les affaires; si cela continue, cette bonne Joyeuse—comme vous l'appelez—et il montrait du doigt l'épée de celui auquel il adressait la parole—court le risque de se rouiller au fourreau!
—Oui, répondit le buveur de son ton goguenard, et cela t'inquiète pour les dix ou douze pots de vin que je dois?
—Oh! Jésus Dieu, mon gentilhomme, vous m'en devriez cinquante et même cent que je n'en dormirais pas moins tranquillement, je vous le jure, sur les deux oreilles! Non pas, je vous connais trop depuis dix-huit mois que vous fréquentez la maison, pour que cette sotte idée me soit jamais venue, que je dusse perdre un denier avec vous; mais, vous le savez, dans tous les métiers, il y a des hauts et des bas; et le retour de Son Eminence le cardinal-duc va nécessairement pendant quelques semaines faire mettre les épées au clou. Je dis quelques semaines, car le bruit court qu'il ne fait que toucher barre à Paris, et qu'il va repartir avec le roi pour porter la guerre de l'autre côté des monts. S'il en est ainsi, ce sera comme au temps du siége de La Rochelle: au diable les édits! et les écus pleuvront de nouveau dans notre escarcelle.
—Eh bien! c'est justement là où tu fais fausse route, ami Soleil; car, avant-hier soir et hier matin, j'ai travaillé comme d'habitude en tout bien tout honneur; de plus, comme il n'est encore que quatre heures de l'après-midi, j'espère bien trouver quelque bonne pratique avant que le jour tombe tout à fait, et, tombât-il, comme dame Phœbé est dans son plein, je compterais sur la nuit à défaut du jour. Quant aux écus qui te préoccupent tant, non dans mon intérêt mais dans le tien, tu vois, ou plutôt tu entends,—et le buveur fit harmonieusement résonner le contenu de sa poche—qu'il y en a encore quelques-uns dans l'escarcelle, et que le gousset n'est pas tout à fait si vide que tu le crois; donc, si je ne règle pas mon compte hic et nunc, c'est tout simplement que je veux le faire payer par le premier gentilhomme qui viendra réclamer mes bons offices. Et peut-être bien—continua l'hôte insoucieux de maître Soleil, en se penchant vers la fenêtre et en appuyant son front contre les carreaux—peut-être bien celui qui m'acquittera envers toi, est-il celui-là, justement, que je vois venir du côté de la rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, le nez en l'air comme un homme qui cherche l'enseigne de la Barbe Peinte. Justement, il l'a vu, et paraît on ne peut plus satisfait! Eclipsez-vous donc, maître Soleil, et comme il est évident que ce gentilhomme veut parler à moi, retournez à vos lardoires et laissez les gens d'épée causer de leurs petites affaires. A propos, éclairez; car dans dix minutes, il fera nuit comme dans un four, et j'aime à voir l'air des gens avec qui je traite.
Le buveur ne se trompait point, car, en même temps que son hôte, empressé d'obéir aux ordres qu'il venait de recevoir de lui, disparaissait par la porte de la cuisine, une ombre, interceptant un reste de jour entrant du dehors, apparaissait sur le seuil de la porte d'entrée.
Le nouveau venu, avant de se hasarder par un jour si douteux par la salle basse de l'hôtellerie de la Barbe Peinte, interrogea d'un regard prudent ses ténébreuses profondeurs; voyant alors que cette salle était occupée par un seul individu, et que cet individu était, selon toute probabilité, celui qu'il cherchait, il remonta son manteau, à la hauteur de sa bouche et de ses yeux, de façon à se cacher entièrement le visage, et s'avança vers lui.
Si l'homme au manteau craignait d'être reconnu, la précaution n'était point inutile, car maître Soleil entra juste à ce moment, émanant la lumière, comme l'astre dont il portait le nom, puisqu'il tenait de chaque main une chandelle allumée, qu'il alla déposer dans deux chandeliers de fer-blanc, accrochés à plat contre le mur.
L'étranger le regarda faire avec une impatience qu'il ne se donna point la peine de cacher. Il était évident qu'il eût préféré demeurer dans la demi-obscurité où la salle se trouvait dès son arrivée, demi-obscurité qui devait toujours aller en augmentant, à mesure que la nuit tomberait. Cependant, il demeura silencieux, se contentant de suivre du regard, à travers l'étroite ouverture de son manteau, les agissements de maître Soleil, et ce ne fut que quand la porte par laquelle il était entré se fut refermée sur sa sortie que, s'adressant au buveur qui ne paraissait faire aucune attention à lui, il lui demanda, sans autre préambule:
—C'est vous qu'on appelle Etienne Latil, autrefois à M. d'Epernon, puis capitaine dans les Flandres?
Le buveur, qui était en train de porter son pot à sa bouche au moment où la question lui fut faite, tourna, sans remuer la tête, son œil vers celui qui l'interpellait, et, comme la demande lui avait été adressée d'un ton qui ne satisfaisait probablement pas la susceptibilité dont il se piquait:
—Eh bien! dit-il, quand ce serait moi, en effet, qui m'appelasse de ces deux noms, en quoi cela peut-il vous intéresser?
Et il acheva de rapprocher de ses lèvres le broc, un instant arrêté au milieu de la route qu'il avait à parcourir.
L'homme au manteau laissa au buveur tout le temps de donner à sa dame-jeanne une accolade aussi tendre et aussi prolongée qu'il lui plut de le faire, et, lorsque celui-ci eut reposé le pot, à peu près vide, sur la table:
—J'ai l'honneur de vous demander, lui dit-il avec une notable différence dans l'accent, si vous êtes le chevalier Etienne Latil?
—Ah! voilà qui est déjà mieux, fit, avec un mouvement de tête approbateur, celui auquel s'adressait la question.
—Alors, faites-moi la grâce de me répondre.
—Eh bien! oui, mon gentilhomme, je suis Etienne Latil en personne. Que lui voulez-vous, à ce pauvre Etienne?
—Je veux lui proposer une bonne affaire.
—Une bonne affaire! Ah! ah!
—Mieux que bonne, excellente.
—Pardon—interrompit celui qui venait de reconnaître que le prénom d'Etienne et le nom de Latil s'appliquaient effectivement à lui;—mais, avant d'aller plus loin, permettez que ma susceptibilité prenne modèle sur la vôtre. A qui ai-je l'honneur de parler?
—Peu vous importe mon nom, pourvu que mes paroles sonnent agréablement à votre oreille?
—Vous vous méprenez, mon gentilhomme, si vous croyez qu'à mon endroit cette musique-là suffit; je suis cadet de famille, c'est vrai, mais je suis de noblesse, et ceux qui vous ont adressé à moi ont dû vous dire que je ne travaille ni pour le menu peuple ni pour la petite bourgeoisie. Si vous avez maille à partir avec quelque artisan, votre compère, ou quelque boutiquier, votre voisin, vous pouvez vous bâtonner mutuellement, sans que je m'en mêle ou m'en soucie; je n'interviens pas dans de pareils démêlés.
—Je ne puis ni ne veux vous dire mon nom, maître Latil, mais je ne fais aucune difficulté à ce que vous sachiez mon titre. Voici une bague qui me sert de cachet et qui pourra vous renseigner, pour peu que vous ne soyez point tout à fait ignare en blason, sur le rang que j'occupe dans le monde.
Et, tirant une bague de son doigt, il la passa au bravo, qui se rapprocha de la fenêtre, et, jetant sur elle un regard, aux dernières lueurs du jour:
—Oh! oh!—dit-il—un onyx gravé comme on ne grave qu'à Florence! Vous êtes Italien et marquis, mon gentilhomme; nous savons ce que veulent dire la feuille de vigne et les trois perles; de plus, riche, ce qui ne gâte jamais rien; la pierre seule, sans sa monture, vaut quarante pistoles.
—Cela vous suffit-il, et pouvons-nous causer maintenant? demanda l'inconnu en reprenant sa bague, et en la passant à une main blanche, longue et fine qu'il tira de son manteau, et que, de son autre main gantée déjà, il s'empressa de reganter à son tour.
—Oui, cela me suffit, et vous venez de faire vos preuves, monsieur le marquis; mais auparavant, et comme arrhes du marché que nous allons conclure, il serait galant à vous, quoique je ne vous en fasse point une condition, de payer les dix ou douze pots de vin que je dois dans ce cabaret; je suis un homme d'ordre, et s'il m'arrivait un accident, dans une de mes expéditions, je serais désolé de laisser derrière moi une dette, si petite qu'elle fût.
—Qu'à cela ne tienne!
—Et ce serait, continua le buveur, mettre le comble à votre galanterie, les deux pots que j'ai devant moi sonnant le creux, d'en faire venir, pour les remplacer, deux autres, avec lesquels nous nous gargariserons la gorge, car j'ai le parler sec, et je trouve que les paroles mal humectées écorchent la bouche d'où elles sortent.
—Maître Soleil! cria l'inconnu en s'enfonçant d'un degré de plus dans son manteau.
Maître Soleil parut, comme s'il se fût trouvé derrière la porte, prêt à obéir aux ordres qui lui seraient donnés.
—Le compte de ce gentilhomme et deux pots de vin, du meilleur!
L'aubergiste de la Barbe Peinte disparut aussi rapidement que le fait de nos jours, à travers une trappe anglaise, un clown du Cirque olympique, et reparut presqu'aussitôt, tenant deux pots de vin qu'il déposa, l'un à la proximité de l'inconnu, l'autre devant maître Etienne Latil.
—Voilà! dit-il; quant au compte, c'est une pistole, cinq sous, deux deniers.
—Voici un louis d'or de deux pistoles et demie—dit l'inconnu en jetant sur la table la pièce annoncée;—puis, comme l'aubergiste portait la main à sa poche, sans doute pour y chercher de la monnaie:
—Inutile que tu me rendes, dit-il, tu porteras la différence à l'avoir de monsieur.
—A l'avoir—murmura le bravo—voilà un mot qui sent son marchand d'une lieue! Il est vrai que ces Florentins sont tous marchands, et que leurs ducs eux-mêmes font l'usure, ni plus ni moins que des juifs de Francfort ou des Lombards de Milan; mais, comme le disait notre hôte, les temps sont durs, et l'on ne peut pas toujours choisir ses clients.
Pendant ce temps, maître Soleil se retirait, en faisant révérences sur révérences, et en jetant sur son hôte, qui trouvait des seigneurs payant si largement ses dettes, des regards de profonde admiration.