- W empik go
Les Désenchantées - ebook
Les Désenchantées - ebook
Un roman publié en 1906 qui trouve encore des échos un siècle plus tard. Sur la forme, il contient des procédés propres à l’autofiction. Même si Pierre Loti affirme que « c’est une histoire entièrement imaginée », elle est tout de même inspirée par un fait réel auquel il a été mêlé. S’il a beaucoup réarrangé l’affaire en une histoire dramatique, en même temps simplifiée et élargie, le coeur du sujet reste la condition des femmes musulmanes
Kategoria: | Classic Literature |
Język: | Inny |
Zabezpieczenie: |
Watermark
|
ISBN: | 978-83-8176-317-2 |
Rozmiar pliku: | 2,7 MB |
FRAGMENT KSIĄŻKI
AVANT PROPOS
PREMIÉRE PARTIE
I
II
III
DEUXIÉME PARTIE
IV
V
VI
VII
TROISIÉME PARTIE
VIII
IX
X
XI
XII
XIV
XV
XVI
XVII
QUATRIÉME PARTIE
XVIII
XIX
XX
XXI
XXII
XXIII
XXIV
XXV
XXVI
XXVII
XXVIII
XXIX
CINQUIÈME PARTIE
XXX
XXXI
XXXII
XXXIII
XXXIV
XXXV
XXXVI
XXXVII
XXXVIII
XXXIX
SIXIÈME PARTIE
XL
XLI
XLII
XLIII
XLIV
XLVI
XLVII
XLVIII
XLIX
L
LI
LII
LIII
LIV
LV
LVI
LVIIAVANT PROPOS
C'est une histoire entièrement imaginée. On perdrait sa peine en voulant donner à Djénane, à Zeyneb, à Mélek ou à André, des noms véritables, car ils n'ont jamais existé.
Il n'y a de vrai que la haute culture intellectuelle répandue aujourd'hui dans les harems de Turquie, et la souffrance qui en résulte.
Cette souffrance-là, apparue peut-être d'une manière plus frappante à mes yeux d'étranger, mes chers amis les Turcs s'en inquiètent déjà et voudraient l'adoucir.
Le remède, je n'ai, bien entendu, aucune prétention à l'avoir découvert, quand de profonds penseurs, là-bas, le cherchent encore. Mais, comme eux, je suis convaincu qu'il existe et se trouvera, car le merveilleux prophète de l'Islam, qui fut avant tout un être de lumière et de charité, ne peut pas vouloir que des règles édictées par lui jadis, deviennent, avec l'inévitable évolution du temps, des motifs de souffrir.
Pierre Loti.I
André Lhéry, romancier connu, dépouillait avec lassitude son courrier, un pâle matin de printemps, au bord de la mer de Biscaye, dans la maisonnette où sa dernière fantaisie le tenait à peu près fixé depuis le précédent hiver.
"Beaucoup de lettres, ce matin-là, soupirait-il, trop de lettres."
Il est vrai, les jours où le facteur lui en donnait moins, il n'était pas content non plus, se croyant tout à coup isolé dans la vie. Lettres de femmes, pour la plupart, les unes signées, les autres non, apportant à l'écrivain l'encens des gentilles adorations intellectuelles. Presque toutes commençaient ainsi: "Vous allez être bien étonné, monsieur, en voyant l'écriture d'une femme que vous ne connaissez point." André souriait de ce début: étonné, ah! non, depuis longtemps il avait cessé de l'être. Ensuite chaque nouvelle correspondance, qui se croyait généralement la seule au monde assez audacieuse pour une telle démarche, ne manquait jamais de dire: "Mon âme est une petite soeur de la vôtre; personne, je puis vous le certifier, ne vous a jamais compris comme moi." Ici, André ne souriait pas, malgré le manque d'imprévu d'une pareille affirmation; il était touché, au contraire. Et, du reste, la conscience qu'il prenait de son empire sur tant de créatures, éparses et à jamais lointaines, la conscience de sa part de responsabilité dans leur évolution, le rendait souvent songeur.
Et puis, il y en avait, parmi ces lettres, de si spontanées, si confiantes, véritables cris d'appel, lancés comme vers un grand frère qui ne peut manquer d'entendre et de compatir! Celles-là, André Lhéry les mettait de côté, après avoir jeté au panier les prétentieuses et les banales; il les gardait avec la ferme intention d'y répondre. Mais, le plus souvent, hélas! le temps manquait, et les pauvres lettres s'entassaient, pour être noyées bientôt sous le flot des suivantes et finir dans l'oubli.
Le courrier de ce matin en contenait une timbrée de Turquie, avec un cachet de la poste où se lisait, net et clair, ce nom toujours troublant pour André: Stamboul.
Stamboul! Dans ce seul mot, quel sortilège évocateur!... Avant de déchirer l'enveloppe de celle-ci, qui pouvait fort bien être tout à fait quelconque, André s'arrêta, traversé soudain par ce frisson, toujours le même et d'ordre essentiellement inexprimable, qu'il avait éprouvé chaque fois que Stamboul s'évoquait à l'improviste au fond de sa mémoire, après des jours d'oubli. Et, comme déjà si souvent en rêve, une silhouette de ville s'esquissa devant ses yeux qui avaient vu toute la terre, qui avaient contemplé l'infinie diversité du monde: la ville des minarets et des dômes, la majestueuse et l'unique, l'incomparable encore dans sa décrépitude sans retour, profilée hautement sur le ciel, avec le cercle bleu de la Marmara fermant l'horizon...
Une quinzaine d'années auparavant, il avait compté, parmi ses correspondantes inconnues, quelques belles désoeuvrées des harems turcs; les unes lui en voulaient, les autres l'aimaient avec remords pour avoir conté dans un livre de prime jeunesse son aventure avec une de leurs humbles soeurs, elles lui envoyaient clandestinement des pages intimes en un français incorrect, mais souvent adorable; ensuite, après l'échange de quelques lettres, elles se taisaient et retombaient dans l'inviolable mystère, confuses à la réflexion de ce qu'elles venaient d'oser comme si c'eût été péché mortel.
Il déchira enfin l'enveloppe timbrée du cher là-bas,–et le contenu d'abord lui fit hausser les épaules: ah! non, cette dame-là s'amusait de lui, par exemple! Son langage était trop moderne, son français trop pur et trop facile. Elle avait beau citer le Coran, se faire appeler Zahidé Hanum, et demander réponse poste restante avec des précautions de Peau Rouge en maraude, ce devait être quelque voyageuse de passage à Constantinople, ou la femme d'un attaché d'ambassade, qui sait? ou, à la rigueur, une Levantine éduquée à Paris?
La lettre cependant avait un charme qui fut le plus fort, car André, presque malgré lui, répondit sur l'heure. Du reste, il fallait bien témoigner de sa connaissance du monde musulman et dire, avec courtoisie toutefois: "Vous, une dame turque! Non, vous savez, je ne m'y prends pas!..."
Incontestable, malgré l'invraisemblance, était le charme de cette lettre... Jusqu'au lendemain, où, bien entendu, il cessa d'y penser, André eut le vague sentiment que quelque chose commençait dans sa vie, quelque chose qui aurait une suite, une suite de douceur, de danger et de tristesse.
Et puis aussi, c'était comme un appel de la Turquie à l'homme qui l'avait tant aimée jadis, mais qui n'y revenait plus. La mer de Biscaye, ce jour-là, ce jour d'avril indécis, dans la lumière encore hivernale, se révéla tout à coup d'une mélancolie intolérable à ses yeux, mer pâlement verte avec les grandes volutes de sa houle presque éternelle, ouverture béante sur des immensités trop infinies qui attirent et qui inquiètent. Combien la Marmara, revue en souvenir, était plus douce, plus apaisante et endormeuse, avec ce mystère d'Islam tout autour sur ses rives! Le pays Basque, dont il avait été parfois épris, ne lui paraissait plus valoir la peine de s'y arrêter; l'esprit du vieux temps qui, jadis, lui avait semblé vivre encore dans les campagnes pyrénéennes, dans les antiques villages d'alentour,–même jusque devant ses fenêtres, là, dans cette vieille cité de Fontarabie, malgré l'invasion des villas imbéciles,–le vieil esprit basque, non, aujourd'hui il ne le retrouvait plus. Oh! là-bas à Stamboul, combien davantage il y avait de passé et d'ancien rêve humain, persistant à l'ombre des hautes mosquées, des cimetières où les veilleuses à petite flamme jaune s'allument le soir par milliers pour les âmes des morts. Oh! ces deux rives qui se regardent, l'Europe et l'Asie, se montrant l'une à l'autre des minarets et des palais tout le long du Bosphore, avec de continuels changements d'aspect, aux jeux de la lumière orientale! Auprès de la féerie du Levant, quoi de plus morne et de plus âpre que ce golfe de Gascogne! Comment donc y demeurait-il au lieu d'être là-bas? Quelle inconséquence de perdre ici les jours comptés de la vie, quand là-bas était le pays des enchantements légers, des griseries tristes et exquises par quoi la fuite du temps est oubliée!...
Mais c'était ici, au bord de ce golfe incolore, battu par les rafales et les ondées de l'Océan, que ses yeux s'étaient ouverts au spectacle du monde, ici que la conscience lui avait été donnée pour quelques saisons furtives; donc, les choses d'ici, il les aimait désespérément quand même, et il savait bien qu'elles lui manquaient lorsqu'il était ailleurs.
Alors, ce matin d'avril, André Lhéry sentit une fois de plus l'irrémédiable souffrance de s'être éparpillé chez tous les peuples, d'avoir été un nomade sur toute la terre, s'attachant çà et là par le coeur. Mon Dieu, pourquoi fallait-il qu'il eût maintenant deux patries: la sienne propre, et puis l'autre, sa patrie d'Orient?...II
Un soleil d'avril, du même avril, mais de la semaine suivante, arrivant tamisé de stores et de mousselines, dans la chambre d'une jeune fille endormie. Un soleil de matin, apportant, même à travers des rideaux, des persiennes, des grillages, cette joie éphémère et cette tromperie éternelle des renouveaux terrestres, à quoi se laissent toujours prendre, depuis le commencement du monde, les âmes compliquées ou simples des créatures, âmes des hommes, âmes des bêtes, petites âmes des oiseaux chanteurs.
Au-dehors, on entendait le tapage des hirondelles récemment arrivées et les coups sourds d'un tambourin frappé au rythme oriental. De temps à autre, des beuglements comme poussés par de monstrueuses bêtes s'élevaient aussi dans l'air: voix des paquebots empressés, cris des sirènes à vapeur, témoignant qu'un port devait être là, un grand port affolé de mouvement; mais ces appels des navires, on les sentait venir de très loin et d'en bas, ce qui donnait la notion d'être dans une zone de tranquillité, sur quelque colline au-dessus de la mer.
Élégante et blanche, la chambre où pénétrait ce soleil et où dormait cette jeune fille; très moderne, meublée avec la fausse naïveté et le semblant d'archaïsme qui représentaient encore cette année-là (l'année 1901) l'un des derniers raffinements de nos décadences, et qui s'appelait "l'art nouveau". Dans un lit laqué de blanc,–où de vagues fleurs avaient été esquissées, avec un mélange de gaucherie primitive et de préciosité japonaise, par quelque décorateur en vogue de Londres ou de Paris,–la jeune fille dormait toujours: au milieu d'un désordre de cheveux blonds, tout petit visage, d'un ovale exquis, d'un ovale tellement pur qu'on eût dit une statuette en cire, un peu invraisemblable pour être trop jolie; tout petit nez aux ailes presque trop délicates, imperceptiblement courbé en bec de faucon; grands yeux de madone et très longs sourcils inclinés vers les tempes comme ceux de la Vierge des Douleurs. Un excès de dentelles peut-être aux draps et aux oreillers, un excès de bagues étincelantes aux mains délicates, abandonnées sur la couverture de satin, trop de richesse, eût-on dit chez nous, pour une enfant de cet âge; à part cela, tout répondait bien, autour d'elle, aux plus récentes conceptions de notre luxe occidental. Cependant il y avait aux fenêtres ces barreaux de fer, et puis ces quadrillages de bois,–choses scellées, faites pour ne jamais s'ouvrir,–qui jetaient sur cette élégance claire un malaise, presque une angoisse de prison.
Avec ce soleil si rayonnant et ce délire joyeux des hirondelles au- dehors, la jeune fille dormait bien tard, du sommeil lourd où l'on verse tout à coup sur la fin des nuits d'insomnie, et ses yeux avaient un cerne, comme si elle avait beaucoup pleuré hier.
Sur un petit bureau laqué de blanc, une bougie oubliée brûlait encore, parmi des feuillets manuscrits, des lettres toutes prêtes dans des enveloppes aux monogrammes dorés. Il y avait là aussi du papier à musique sur lequel des notes avaient été griffonnées, comme dans la fièvre de composer. Et quelques livres traînaient parmi de frêles bibelots de Saxe: le dernier de la comtesse de Noailles, voisinant avec des poésies de Baudelaire et de Verlaine, la philosophie de Kant et celle de Nietzsche... Sans doute, une mère n'était point dans cette maison pour veiller aux lectures, modérer le surchauffage de ce jeune cerveau.
Et, bien étrange dans cette chambre où n'importe quelle petite Parisienne très gâtée se fût trouvée à l'aise, bien inattendue au-dessus de ce lit laqué de blanc, une inscription en caractères arabes s'étalait, à la place même où chez nous on attacherait peut-être encore le crucifix: une inscription brodée de fils d'or sur du velours vert- émir, un passage du livre de Mahomet, aux lettres enroulées avec un art ancien et précieux.
Des chansons plus éperdues que commençaient ensemble deux hirondelles, effrontément posées au rebord même de la fenêtre, firent coup à coup s'entrouvir de grands yeux, dans le si petit visage, si petit et si jeune de contours; des yeux aux larges prunelles d'un brun vert, qui, d'abord indécises et effarées, semblaient demander grâce à la vie, supplier la réalité de chasser au plus tôt quelque intolérable songe.
Mais la réalité sans doute ne restait que trop d'accord avec le mauvais rêve, car le regard se faisait de plus en plus sombre, à mesure que revenaient la pensée et le souvenir; et il s'abaissa même tout à fait, comme soumis sans espoir à l'inéluctable, lorsqu'il eut rencontré des objets qui probablement étaient des pièces à conviction: dans un écrin ouvert, un diadème jetant ses feux, et, posée sur des chaises, une robe de soie blanche, robe de mariée, avec des fleurs d'oranger jusqu'au bas de sa longue traîne...
En coup de vent, sans frapper, survint une personne maigre, aux yeux ardents et déçus. Robe noire, grand chapeau noir, d'une simplicité distinguée, sévère avec pourtant un rien d'extravagance, presque une vieille fille, mais cependant pas encore; quelque institutrice, cela se devinait, très diplômée, et de bonne famille pauvre.
"Je l'ai!... Nous l'avons, chère petite!..." dit-elle en français, montrant avec un geste de puéril triomphe une lettre non ouverte, qu'elle venait de prendre à la poste restante.
Et la petite princesse couchée répondit dans la même langue, sans le moindre accent étranger:
"Non, vrai?
C’est un échantillon gratuit. S'il vous plaît acheter la version complète du livre pour continuer.