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Mathias Sandorf - ebook
Mathias Sandorf - ebook
Les événements se déroulent dans le monde austro-hongrois. À Trieste, deux amis aventuriers, Sarkani et Zirone, interceptent accidentellement un pigeon avec une note chiffrée et calculent ensuite le destinataire du message. C’est le comte Mathias Shandor. Sarkani pense que les destinataires de lettres cryptées sont engagés dans des activités anti-étatiques.
Kategoria: | Classic Literature |
Język: | Inny |
Zabezpieczenie: |
Watermark
|
ISBN: | 978-83-8176-277-9 |
Rozmiar pliku: | 2,8 MB |
FRAGMENT KSIĄŻKI
PREMIÈRE PARTIE
Le pigeon voyageur
Le comte Mathias Sandorf
La maison Toronthal
Le billet chiffré
Avant, pendant et après le jugement
Le donjon de Pisino
Le torrent de la Foïba
La maison du pêcheur Ferrato
Derniers efforts dans une dernière lutte
DEUXIÈME PARTIE
Pescade et Matifou
Le lancement du trabacolo
Le docteur Antékirtt
La veuve d’Étienne Bathory
Divers incidents
Les bouches de Cattaro
Complications
Une rencontre dans le Stradon
TROISIÈME PARTIE
Méditerranée
Le passé et le présent
Ce qui se passait à Raguse
Sur les parages de Malte
Malte
Aux environs de Catane
La Casa Inglese
QUATRIÈME PARTIE
Le préside de Ceuta
Une expérience du docteur
Dix-sept fois
Le dernier enjeu
Aux bons soins de Dieu
L’apparition
CINQUIÈME PARTIE
Une poignée de main de Cap Matifou
La fête des cigognes
La Maison de Sîdi Hazam
Antékirtta
Justice !PREMIÈRE PARTIE
I
LE PIGEON VOYAGEUR
Trieste, la capitale de l’Illyrie, se divise en deux villes très dissemblables : une ville neuve et riche, Theresienstadt, correctement bâtie au bord de cette baie sur laquelle l’homme a conquis son sous-sol ; une ville vieille et pauvre, irrégulièrement construite, resserrée entre le Corso, qui la sépare de la première, et les pentes de la colline du Karst, dont le sommet est couronné par une citadelle d’aspect pittoresque.
Le port de Trieste est couvert par le môle de San-Carlo, près duquel mouillent de préférence les navires du commerce. Là se forment volontiers, et, parfois, en nombre inquiétant, des groupes de ces bohèmes, sans feu ni lieu, dont les habits, pantalons, gilets ou vestes, pourraient se passer de poches, car leurs propriétaires n’ont jamais rien eu, et vraisemblablement n’auront jamais rien à y mettre.
Cependant, ce jour-là, 18 mai 1867, peut-être eût-on remarqué, au milieu de ces nomades, deux personnages un peu mieux vêtus. Qu’ils dussent jamais être embarrassés de florins ou de kreutzers, c’était peu probable, à moins que la chance ne tournât en leur faveur. Ils étaient gens, il est vrai, à tout faire pour lui imprimer un tour favorable.
L’un s’appelait Sarcany et se disait Tripolitain. L’autre, Sicilien, se nommait Zirone. Tous deux, après l’avoir parcouru pour la dixième fois, venaient de s’arrêter à l’extrémité du môle. De là, ils regardaient l’horizon de mer, à l’ouest du golfe de Trieste, comme s’il eût dû apparaître au large un navire qui portât leur fortune !
« Quelle heure est-il ? » demanda Zirone, dans cette langue italienne, que son compagnon parlait aussi couramment que les autres idiomes de la Méditerranée.
Sarcany ne répondit pas.
« Eh ! suis-je assez sot ! s’écria le Sicilien. N’est-il pas l’heure à laquelle on a faim, quand on a oublié de déjeuner ! »
Les éléments autrichiens, italiens, slaves, sont tellement mélangés dans cette portion du royaume Austro-Hongrois, que la réunion de ces deux personnages, bien qu’ils fussent évidemment étrangers à la ville, n’était point pour attirer l’attention. Au surplus, si leurs poches devaient être vides, personne n’eût pu le deviner, tant ils se pavanaient sous la cape brune qui leur tombait jusqu’aux bottes.
Sarcany, le plus jeune des deux, de taille moyenne, mais bien proportionné, élégant de manières et d’allures, avait vingt-cinq ans. Sarcany, rien de plus. Point de nom de baptême. Et, au fait, il n’avait point été baptisé, étant très probablement d’origine africaine, de la Tripolitaine ou de la Tunisie ; mais, bien que son teint fût bistré, ses traits corrects le rapprochaient plus du blanc que du nègre.
Si jamais physionomie fut trompeuse, c’était bien celle de Sarcany. Il eût fallu être très observateur pour démêler en cette figure régulière, yeux noirs et beaux, nez fin, bouche bien dessinée qu’ombrageait une légère moustache, l’astuce profonde de ce jeune homme. Nul œil n’aurait pu découvrir sur sa face, presque impassible, ces stigmates du mépris, du dégoût, qu’engendre un perpétuel état de révolte contre la société. Si les physionomistes prétendent, – et ils ont raison en la plupart des cas, – que tout trompeur témoigne contre lui-même en dépit de son habileté, Sarcany eût donné un démenti formel à cette proposition. À le voir, personne n’eût pu soupçonner ce qu’il était, ni ce qu’il avait été. Il ne provoquait pas cette irrésistible aversion qu’excitent les fripons et les fourbes. Il n’en était que plus dangereux.
Quelle avait dû être l’enfance de Sarcany ? on l’ignorait. Sans doute, celle d’un être abandonné. Comment fut-il élevé, et par qui ? Dans quel trou de la Tripolitaine nicha-t-il durant les années du premier âge ? Quels soins lui permirent d’échapper aux multiples causes de destruction sous ces climats terribles ? En vérité, personne ne l’eût pu dire, – pas même lui, peut-être, – né au hasard, poussé au hasard, destiné à vivre au hasard ! Toutefois, pendant son adolescence, il n’avait pas été sans se donner ou plutôt sans recevoir une certaine instruction pratique, due probablement à ce que sa vie s’était déjà passée à courir le monde, à fréquenter des gens de toutes sortes, à imaginer expédients sur expédients, ne fût-ce que pour s’assurer l’existence quotidienne. C’est ainsi et par suite de circonstances diverses, que, depuis quelques années, il s’était trouvé en relations avec une des plus riches maisons de Trieste, la maison du banquier Silas Toronthal, dont le nom doit être intimement mêlé à toute cette histoire.
Quant au compagnon de Sarcany, l’italien Zirone, qu’on ne voie en lui que l’un de ces hommes sans foi ni loi, aventurier à toutes mains, à la disposition du premier qui le payera bien ou du second qui le payera mieux, pour n’importe quelle besogne. Sicilien de naissance, âgé d’une trentaine d’années, il eût été aussi capable de donner de mauvais conseils que d’en accepter et surtout d’en assurer l’exécution. Où était-il né ? peut-être l’aurait-il dit, s’il l’avait su. En tout cas, il n’avouait pas volontiers où il demeurait, s’il demeurait quelque part. C’était en Sicile que les hasards d’une vie de bohème l’avaient mis en rapport avec Sarcany. Et ils allaient ainsi, à travers le monde, s’essayant per fas et nefas à faire une bonne fortune de leurs deux mauvaises. Toutefois, Zirone, grand gaillard barbu, très brun de teint, très noir de poil, eût eu quelque peine à dissimuler la fourberie native que décelaient ses yeux toujours à demi fermés et le balancement continu de sa tête. Seulement, cette astuce, il cherchait à la cacher sous l’abondance de son bavardage. Il était d’ailleurs plutôt gai que triste, s’épanchant au moins autant que se contenait son jeune compagnon.
Ce jour-là, cependant, Zirone ne parlait qu’avec une certaine modération. Visiblement, la question du dîner l’inquiétait. La veille, une dernière partie de jeu, dans un tripot de bas étage, où la fortune s’était montrée par trop marâtre, avait épuisé les ressources de Sarcany. Aussi tous deux ne savaient-ils que devenir. Ils ne pouvaient compter que sur le hasard, et comme cette Providence des gueux ne se pressait pas de venir à leur rencontre le long du môle de San-Carlo, ils résolurent d’aller au-devant d’elle à travers les rues de la nouvelle ville.
Là, sur les places, sur les quais, sur les promenades, en deçà comme au-delà du port, aux abords du grand canal percé à travers Trieste, va, vient, se presse, se hâte, se démène dans la furie des affaires, une population de soixante-dix mille habitants d’origine italienne, dont la langue, qui est celle de Venise, se perd au milieu du concert cosmopolite de tous ces marins, commerçants, employés, fonctionnaires, au langage fait d’allemand, de français, d’anglais et de slave.
Toutefois, si cette nouvelle ville est riche, il ne faudrait pas en conclure que tous ceux qui fréquentent ses rues soient de fortunés mortels. Non ! Les plus aisés, même, n’auraient pu rivaliser avec ces négociants anglais, arméniens, grecs, juifs, qui tiennent le haut du pavé, à Trieste, et dont le somptueux train de maison serait digne de la capitale du royaume austro-hongrois. Mais, sans les compter, que de pauvres diables, errant du matin au soir, à travers ces avenues commerçantes, bordées de hautes bâtisses, fermées comme des coffres-forts, où s’entreposent les marchandises de toute nature qu’attire ce port franc, si heureusement placé au fond de l’Adriatique ! Que de gens qui n’ont point déjeuné, qui ne dîneront peut-être pas, attardés sur les môles, où les navires de la plus puissante Société maritime de l’Europe, le Lloyd autrichien, débarquent tant de richesses venues de tous les coins du monde ! Que de misérables enfin, comme il s’en trouve par centaines à Londres, à Liverpool, à Marseille, au Havre, à Anvers, à Livourne, mêlés aux opulents armateurs dans le voisinage de ces arsenaux, dont l’entrée leur est interdite, sur la place de la Bourse, qui ne leur ouvrira jamais ses portes, au bas des premières marches de ce Tergesteum, où le Lloyd a installé ses bureaux, ses salles de lecture, et dans lequel il vit en parfait accord avec la Chambre de commerce !
Il est incontestable que, dans toutes les grandes villes maritimes de l’ancien et du nouveau monde, fourmille une classe de malheureux, spéciaux à ces grands centres. D’où ils viennent, on ne sait. D’où ils sont tombés, on l’ignore. Où ils finiront, ils ne le savent pas. Parmi eux, le nombre des déclassés est considérable. Beaucoup d’étrangers, d’ailleurs. Les chemins de fer et les navires marchands les y ont jetés un peu comme des colis de rebut, et ils encombrent la voie publique, d’où la police essaye en vain de les chasser.
Donc, Sarcany et Zirone, après un dernier regard jeté à travers le golfe, jusqu’au phare élevé à la pointe de Sainte-Thérèse, quittèrent le môle, prirent entre le Teatro Communale et le square, arrivèrent à la Piazza Grande, où ils flânèrent un quart d’heure, auprès de la fontaine bâtie avec les pierres du Karst voisin, au pied de la statue de Charles VI.
Tous deux revinrent alors vers la gauche. En vérité, Zirone dévisageait les passants, comme s’il avait eu l’irrésistible envie de les détrousser. Puis, ils tournèrent l’énorme carré du Tergesteum, précisément à l’heure où finissait la Bourse.
« La voilà vide... comme la nôtre ! » crut devoir dire le Sicilien, en riant sans avoir aucune envie de rire.
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